- Suite à la décision administrative préfectorale interdisant les rassemblements collectifs dans le département, n’y a-t-il pas un excès de zèle d’avoir suspendu toutes les messes publiques la semaine dernière et de continuer à les interdire dans les zones de clusters ?
Il n’y a que sur les réseaux sociaux que nous trouvons des gens qui sont experts en toute chose et qui donnent un avis infaillible sur tout. Le bon sens et le réalisme nous font un devoir d’entendre ceux qui sont effectivement compétents et qui sont chargés de prendre des décisions, surtout en mesure de santé publique. En l’espèce, l’Eglise n’est pas l’autorité sanitaire et il est de son devoir d’accepter ses préconisations et même ses conseils. Toute autre attitude relèverait d’une irresponsabilité coupable dont nous aurions à répondre, non seulement devant l’autorité civile, mais en conscience devant Dieu.
- L’obéissance aux autorités civiles ne cache-t-elle pas une mollesse, une tiédeur ? Jusqu’où l’Église a-t-elle à se soumettre à la loi civile ?
Pour un chrétien l’obéissance aux autorités civiles n’est pas une option facultative, elle est un devoir. C’est ce que nous dit saint Paul dans le chapitre 13 de la Lettre aux Romains : « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, et celles qui existent sont établies sous la dépendance de Dieu ; si bien qu’en se dressant contre l’autorité, on est contre l’ordre des choses établi par Dieu, et en prenant cette position, on attire sur soi le jugement. En effet, ceux qui dirigent ne sont pas à craindre quand on agit bien, mais quand on agit mal. Si tu ne veux pas avoir à craindre l’autorité, fais ce qui est bien, et tu recevras d’elle des éloges. Car elle est au service de Dieu pour t’inciter au bien ; mais si tu fais le mal, alors, vis dans la crainte. En effet, ce n’est pas pour rien que l’autorité détient le glaive. Car elle est au service de Dieu : en faisant justice, elle montre la colère de Dieu envers celui qui fait le mal. C’est donc une nécessité d’être soumis, non seulement pour éviter la colère, mais encore pour obéir à la conscience. C’est pour cette raison aussi que vous payez des impôts : ceux qui les perçoivent sont des ministres de Dieu quand ils s’appliquent à cette tâche. Rendez à chacun ce qui lui est dû : à celui-ci l’impôt, à un autre la taxe, à celui-ci le respect, à un autre l’honneur.[1] »
Il le redit dans la lettre à Tite: « Rappelle à tous qu’ils doivent être soumis aux gouvernants et aux autorités, qu’ils doivent leur obéir et être prêts à faire tout ce qui est bien[2]. » L’appartenance à l’Eglise ne dispense pas d’obéir aux lois de la cité, dans leur ordre de légitimité temporelle.
- Saint Pierre ne dit-il pas qu’il faut « obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes[3] » ?
Il ne s’agit pas du même contexte mais d’une circonstance où des hommes, en l’occurrence le grand prêtre et le conseil suprême, voulaient empêcher les apôtres de prêcher et enseigner au nom de Jésus. C’est le salut qui est en cause ici et pas l’obéissance aux lois qui organisent la cité. Cette réponse de Pierre fonde l’objection de conscience vis-à-vis de ce qui pourrait compromettre le salut éternel et s’opposer au plan de Dieu. Mais, en ce qui concerne l’obéissance aux autorités civiles, on ne peut pas opposer Pierre à Paul. Saint Pierre écrit d’ailleurs dans sa première lettre : « Soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur, soit à l’empereur qui est souverain, soit aux gouverneurs qui sont ses délégués pour punir les malfaiteurs et reconnaître les mérites des gens de bien[4]. »
Jésus lui-même n’était pas un zélote, révolté contre l’autorité romaine ; interrogé sur l’obligation de payer l’impôt à César, il a répondu : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu[5] ». Lui-même s’est soumis aux autorités jusqu’à recevoir d’elles la mort. Il n’a pas appelé à son secours « des légions d’anges[6] » et il voit dans son arrestation l’accomplissement des Ecritures[7]. C’est même par son obéissance qu’il nous sauve et qu’il est glorifié : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme à son aspect, il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. C’est pourquoi Dieu l’a exalté : il l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : « Jésus Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu le Père[8]. »
Nous ne pouvons pas réagir systématiquement comme si les lois civiles étaient intrinsèquement opposées à la loi de Dieu et devaient faire l’objet d’une résistance opiniâtre de la part de l’Eglise. L’obéissance aux lois qui organisent la Cité n’est pas une concession faite par mollesse, elle est un devoir de la part du chrétien. Si chaque citoyen ou chaque communauté n’obéissait qu’aux lois qu’il se donne à lui-même, la société retournerait au chaos.
- Les martyrs n’ont-ils pas fait preuve de cette résistance ?
Il faut encore une fois comparer ce qui est comparable. Les martyrs ont été confrontés à des lois qui s’opposaient à la loi de Dieu et qui compromettaient leur salut et celui de leurs frères, pas à des lois qui concernaient le maintien de la santé publique et la lutte contre une épidémie. Leur témoignage s’est fait au prix de leur propre vie et pas au péril de la santé et de la vie de leur prochain. Leur témoignage était basé sur le commandement de l’amour de Dieu et du prochain, et s’ils ont accepté joyeusement la mort, dans l’espérance de la vie éternelle, ils ne l’ont pas procurée à leurs frères. Dieu est le Dieu de la vie pas de la mort.
- Les prêtres pourraient-ils arguer de la clause de conscience pour célébrer la messe publiquement, malgré tout, dans les zones d’infestation du virus ? Et les fidèles pour y assister ?
Si l’assistance à la messe quotidienne était une nécessité indispensable au salut, une clause de conscience pourrait jouer, mais ce n’est pas le cas. Participer à la messe en semaine est d’une grande fécondité spirituelle mais n’est pas une obligation demandée par l’Église. Quant à l’obligation de participer à la messe du dimanche, elle est un commandement de l’Eglise et donc l’Eglise peut, en constatant des cas d’impossibilité ou d’épreuve, en donner temporairement dispense. Sanctifier le jour du Seigneur est le troisième commandement de Dieu. Traduire ce précepte par l’assistance à la messe dominicale est le deuxième commandement de l’Eglise. Le chrétien qui est dans l’impossibilité de s’y conformer trouvera d’autres modalités pour sanctifier le jour du Seigneur. Mais en tout état de cause, l’Eglise qui donne ce deuxième commandement est à même d’en dispenser les fidèles pour des raisons graves. Même en l’absence de décision de l’évêque, les prêtres pourraient en dispenser les fidèles qui leur sont confiés si les nécessités l’imposaient.
- Quelle légitimité y a-t-il à traduire sur le plan liturgique des mesures sanitaires préconisées par le préfet (communion dans la main, bénitiers vidés, pas de geste de paix) ?
Il est bien évident que le préfet n’est pas l’ordonnateur de la liturgie, mais la légitimité de traduire en termes liturgiques les dispositions sanitaires vient de la nature même des choses. Des mesures générales qui ne seraient pas traduites par des attitudes et des pratiques concrètes n’auraient aucune efficacité. Or le but des mesures sanitaires est d’être efficace. En interdisant les rassemblements, les autorités sanitaires cherchent à éviter les contacts qui sont vecteurs de la transmission du virus.
Pour ce qui est de la communion, j’entends souvent l’objection que les mains ne sont pas plus propres que la langue, qu’elles sont le principal vecteur de transmission du coronavirus, ou qu’en donnant la communion dans la bouche le prêtre n’a pas plus de contacts avec les communiants qu’en la donnant sur la main. C’est oublier que le coronavirus est responsable d’une maladie respiratoire et qu’il est présent dans les gouttelettes qui constituent l’haleine, dans les respirations, et que le souffle même est un vecteur de transmission en particulier lorsque le communiant est debout. Si nous sommes atteints d’une maladie respiratoire, s’abstenir de communier dans la bouche est une précaution, une délicatesse vis-à-vis des personnes qui communieront après nous et que nous pourrions contaminer. Il ne s’agit pas d’interdire la communion dans la bouche, qui est le mode normal et traditionnel de recevoir la communion, mais, chaque mode présentant des risques, de recommander à chacun de prendre les précautions nécessaires pour garantir le précepte de la charité qui est le résumé et la source de tous les commandements.
C’est la raison pour laquelle j’ai recommandé de faire une communion spirituelle.
Personne ne peut revendiquer les sacrements comme un dû, ils sont toujours un don de Dieu que personne ne peut revendiquer au mépris de la charité. Et le temps d’épreuve présent nous invite à nous demander encore plus si, à chaque fois, nous nous préparons assez dignement à recevoir ce don.
Il est d’autant plus légitime de traduire sur le plan liturgique les mesures sanitaires que les personnes qui participent à nos liturgies constituent souvent un public fragile sur lequel le coronavirus peut avoir des conséquences très graves. « Nous les forts, nous devons porter la fragilité des faibles et non faire ce qui nous plait[9]. »
- Pourquoi, plutôt que d’inviter les gens à prier individuellement, ne pas proposer des prières collectives, des processions pour intercéder avec plus de ferveur pour les malades ?
Je sais bien que l’on fait souvent appel à un passé idéalisé pour juger ce qui se fait concrètement aujourd’hui. Autrefois, en période d’épidémie, on se rassemblait pour prier. Nous ne dédaignons pas les prières publiques et, dimanche dernier, nous sommes allés en pèlerinage à Pontivy prier Notre-Dame-de-Joie qui est intervenue dans le passé pour protéger nos ancêtres contre une épidémie. Mais les hommes du XIVe ou du XVIIe siècle n’avaient pas les notions de prophylaxie que nous avons aujourd’hui. Leur science et leur industrie étaient très limitées. Et après avoir utilisé les médicaments sommaires qu’ils avaient pu concevoir, ils n’avaient pas d’autre recours que la prière. Dieu leur venant en aide palliait les insuffisances inhérentes à leur temps et à leur degré de connaissance. Aujourd’hui aussi, Dieu le fera ! Mais en attendant, nous devons, selon le principe de saint Ignace, agir comme si tout dépendait de nous et prier en sachant que tout dépend de Dieu.
Prier pour avoir la santé sans prendre aucune précaution pour empêcher la maladie de s’étendre, ce n’est pas de la foi, c’est du fidéisme. Pire même, c’est tenter Dieu. Le premier dimanche de carême, nous avons lu dans l’Evangile le récit des tentations de Jésus. Sommé par le diable de se jeter du haut du temple au motif que Dieu enverrait son ange « pour que son pied ne heurte les pierres », Jésus a répondu : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ».
- N’est-ce pas un manque de foi de penser que les saintes espèces, corps et sang de Notre Seigneur de Jésus-Christ, pourraient être vecteur de maladie ou de mort ?
Là encore, attention au fidéisme. La transsubstantiation change l’identité mais pas les accidents. Les espèces et apparences du pain et du vin demeurent et restent soumises aux lois de la nature. Une hostie consacrée abandonnée dans un endroit humide se détériore, livrée aux flammes elle brûle et la présence réelle ne demeure que tant que dure le signe du pain. Quelques miracles eucharistiques célèbres et retentissants, échappant à ces lois naturelles, nous ont été donnés pour augmenter notre foi. Mais ce sont des miracles ! Nous ne pouvons demander à Dieu de réaliser un miracle permanent pour pallier nos manques de prudence. Les virus ne se désactivent pas plus en entrant dans une église catholique qu’ils ne le font en entrant dans un temple protestant. « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »
Rappelons-nous ce récit humoristique mais plein de sens :